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Soft skills : comment mieux recruter en s’appuyant sur les sciences cognitives ?

Comment juger les candidats à leur juste valeur  ? La réponse a longtemps tenu en deux lettres : CV. Aujourd’hui pourtant, les recruteurs ne se contentent plus des compétences techniques ou académiques qui y figurent : ils souhaitent aussi évaluer les compétences comportementales ou autrement dit : les soft skills. Mais comment les mesurer  ? Quels sont les biais à éviter  ? Mettant les sciences cognitives et la technologie au service du recrutement, Camille Morvan, cofondatrice de la start-up Goshaba, nous éclaire.

Beaucoup d’entreprises font face à des difficultés de recrutement. Pourquoi ?

Camille Morvan  : Nous sommes dans un contexte de crise global, à de nombreux niveaux  : les fake news pullulent, les opinions politiques sont plus polarisées que jamais, le dérèglement climatique et le déclin de la biodiversité s’accélèrent, les inégalités ne cessent de se creuser… Tout cela témoigne d’un système économique en bout de course, qui doit radicalement changer. 

Au niveau professionnel, cela donne une situation où beaucoup de gens n’arrivent plus à vivre convenablement de leur travail, et où les jeunes ont été les grands sacrifiés de la crise du Covid-19. C’est un choc qui provoque une prise de conscience chez de nombreux individus, qui ressentent aujourd’hui davantage le besoin de travailler pour une entreprise qui soit plus humaine et plus socialement respectueuse. Cela impacte donc le recrutement. 

Une des clés résiderait-elle dans le fait de «donner du sens» au travail ?

CM : Oui, mais il y a un malentendu à dissiper sur le sujet. Le sens, ça peut bien sûr être le fait de travailler pour une entreprise qui a une action positive sur le monde. Mais je crois que ça commence aussi par des choses beaucoup plus simples et qui manquent aujourd’hui à de nombreuses personnes : comprendre pour qui et pourquoi on travaille, savoir quelle est notre contribution, recevoir du feedback, avoir des perspectives d’évolution… Bref, comprendre notre place dans la chaîne de valeur.  

Il y a dans cette aspiration un effet positif : celui de renforcer, en miroir, la prise de conscience des entreprises que leurs salariés sont avant tout des humains avec qui il faut créer une relation de confiance. C’est pour moi un motif d’espoir.  

Vous avez construit une solution de recrutement basée sur ce qu’il y a de plus humain chez nous : les fonctions cognitives. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

CM : Les fonctions cognitives de notre organisme sont celles portées par le cerveau : l’apprentissage, le langage, la capacité à percevoir les émotions... Je prends souvent l’image d’un ordinateur : les capacités cognitives serait le couple hardward / système d'explpoitation. La personnalité serait les logiciels que l'on installe et ce à quoi l'on décide d'utiliser ces compétences sous-jacente. Par exemple, la RAM d'un ordinateur serait la mémoire de travail (combien d'élément peuvent être maintenus en mémoire et manipulés au cours d'une réflexion). Et au-dessus, c’est la couche logicielle, qui s’exprime via votre personnalité… Celle-ci pouvant différer largement pour deux personnes ayant le même profil cognitif. 

In fine, ce sont bien vos capacités cognitives, et non votre profil psychologique, qui vont déterminer vos soft skills, c’est-à-dire vos compétences non techniques telles que l’esprit d’équipe, le sens du service, l’esprit critique, ou encore l’autonomie. Or celles-ci sont de plus en plus recherchées par les entreprises, car on sait qu’elles sont clés.  

En quoi le fait de s’appuyer sur les sciences cognitives améliore la qualité des recrutements ?

CM : Cela permet d’éliminer les nombreux biais qui existent chez les recruteurs et qui viennent « polluer » le processus. Ces biais sont de différents ordres : bien sûr il y a le genre, l’apparence physique, la couleur de peau… Il y a aussi le contenu du CV lui-même, lorsque le recruteur se dit « tiens, ce candidat a fait le même type d’école que moi, j’ai envie de lui faire passer un entretien ». 

Mais il y a aussi des biais moins évidents, comme les biais de halo qui consistent à attribuer une caractéristique positive à une personne juste parce qu’elle en possède une autre. Par exemple, quelqu’un de sûr de lui va généralement passer pour compétent, sans que les deux soient liés. Encore plus surprenant : le biais lié à la taille, corroboré par une étude américaine ayant montré que les hommes plus grands gagnent mieux leur vie que les autres, avec en moyenne 1000 $ de revenus annuels en plus pour 2,5 centimètres supplémentaire.  

On voit bien le bénéfice de cette réduction des biais pour la société, en matière de lutte contre les discriminations. Mais en quoi est-ce également bon pour les recruteurs et les entreprises ? 

 

CM : Le fait de filtrer les candidatures selon les traits cognitifs des individus permet de gagner fortement en précision par rapport au CV traditionnel. Dans le cas d’une grande entreprise qui peut recevoir des milliers de candidatures, si l’on prend d’un côté un groupe présélectionné selon notre méthode, et de l’autre des candidats choisis sur la base de leur CV, puis que l’on demande à un manager de les rencontrer pour vérifier leurs compétences effectives, on a 90 % de correspondance dans le premier cas… Contre seulement 20 % sur la base du CV.  

L’idée, c’est donc d’identifier avec précision chez les individus les traits cognitifs qui sont à l’origine des soft skills attendues pour le poste, sans se mettre d’œillères ni de limitation sur les types de profils.  

 

Concrètement, à quoi ressemble une évaluation cognitive ?  

 

CM : Chez Goshaba, ce sont des tests qui prennent la forme d’une dizaine de petits jeux en ligne affinés au fil des années. Pour donner un exemple, pour mesurer la mémoire de travail (différente de la mémoire à long terme), on présente aux candidats une série de poissons avec des formes et des couleurs différentes, puis on leur demande de les reconnaître : tel poisson correspond-il à celui qu’ils viennent de voir ? À celui d’avant ? D’encore avant ? Etc. 

Au bout du compte, on obtient un rapport complet sur le profil cognitif des candidats : capacité attentionnelle, mémorisation, gestion de la complexité, appréhension de l’incertitude et du stress, lecture des émotions sur les visages, capacités liées au langage… On mesure peu de choses, mais on se rend compte que la « carte de visite » que l’on obtient permet de répondre à la plupart des besoins des recruteurs. De plus, passé un certain âge, ces traits évoluent peu. Ils sont aussi indépendants de l’éducation reçue. C’est donc une méthode à la fois scientifique et fiable.  

Si la technologie est capable de déterminer la ou les meilleures personnes pour un poste donné, reste-t-il de la place pour la décision humaine ? 

 

CM : Évidemment ! L’objectif est d’aider les recruteurs, pas de les remplacer. Il faut bien distinguer deux types d’interventions possibles pour l’humain : là où il risque de se tromper, c’est-à-dire dans la sélection initiale, qui se fait le plus souvent sur la base du CV et qui peut s’avérer biaisée, et là où au contraire il a une valeur ajoutée, c’est-à-dire dans la suite du processus. Ai-je envie de travailler avec cette personne ? Va-t-elle bien s’intégrer dans l’équipe ? Correspond-elle à notre culture d’entreprise ? Voilà autant de questions où la subjectivité et l’intuition ont toute leur place.  

Camille Morvan,

cofondatrice de Goshaba

Recruter en réduisant les biais cognitifs conduit généralement à renforcer la diversité dans les entreprises. Cette diversité apporte-t-elle des bénéfices ? 

 

CM : De nombreuses études statistiques montrent que plus la diversité en entreprise est forte, meilleurs sont les résultats. Pour autant, on peut se demander où est l’œuf et où est la poule : par exemple en termes d’égalité femmes-hommes, est-ce parce qu’une entreprise est plus paritaire qu’elle fonctionne mieux, ou bien est-ce parce qu’elle grandit qu’elle devient mécaniquement plus paritaire ?  

Au fond on peut dire que ces deux mouvements se nourrissent mutuellement: une entreprise dans laquelle chaque individu est respecté retiendra une force de travail diversifiée qui en retour aura les effets positifs lié à la diversité de points de vue.

Ce qui me parait sûr c’est que, pour que cela fonctionne, la diversité doit être vue comme une chance (ce qu’elle est) et non comme une forme de charité. Vous pouvez faire tous les programmes de formation « diversité et inclusion » que vous voulez, si vous n’êtes pas prêt à vous confronter à la diversité des points de vue et des expériences qui vont questionner votre façon de faire, cela ne fonctionnera pas. On le voit dans les entreprises où vous avez 9 hommes blancs issus du même sérail au comité exécutif pour 1 seule femme qui est une pure caution de genre : cela se passe rarement bien. Au contraire, on estime qu’il faut au minimum 30 % de diversité pour faire bouger les lignes.  

Pour finir, quels conseils simples donneriez-vous à quelqu’un pour éviter les biais lors du recrutement  ? 

 

CM : Pour moi, la base c’est vraiment de réfléchir aux compétences que l’on va rechercher pour le poste, et de les hiérarchiser. Souvent, on fait un copier-coller d’une fiche de poste existante, et ça donne une liste à la Prévert, alors qu’il faut vraiment réussir à dégager 3 compétences clés. Pas 10 ou 15 ! Ensuite, il y a la question de l’évaluation des candidats : pour arriver à l’objectiver, on peut proposer une étude de cas, et/ou une évaluation par les pairs. Par exemple, si je dois recruter un conseiller clientèle, je peux demander à ceux déjà en poste chez moi quel type d’exercice lui donner. 

D’une façon générale, je crois qu’il faut recruter de façon collégiale. Les candidats doivent voir plusieurs personnes, chacune évaluant son propre domaine de compétences, et n’influençant pas les autres avant la délibération finale collective. Ce dernier point est important : chacun doit être autonome dans son jugement, quitte à ce qu’il n’y ait pas de consensus. Ce n’est pas forcément grave. Il faut dans ce cas réfléchir par exemple à la personne qui travaillera le plus avec la nouvelle recrue… Plutôt que de prendre un candidat jugé moyen par tous, et qui ne satisfait en réalité personne. 

Des outils de recrutement comme le CV anonyme peuvent aussi aider quand il s’agit d’éliminer les biais et de juger uniquement les compétences. Mais je me rends compte que les entreprises ont du mal à le mettre en place. Souvent les recrutements sont faits dans l’urgence, un peu à la dernière minute. La moitié des CVs a été reçue par mail, l’autre via une plateforme… C’est compliqué d’harmoniser le processus, surtout quand on est une petite structure sans SIRH. 

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Saviez-vous que vous pouvez faire accompagner vos salariés par un conseiller en évolution professionnelle ?

Les conseillers en évolution professionnelle accompagnent les salariés dans l'identification et la valorisation de leurs soft skills pour l'élaboration de leur projet et leur candidature sur des postes de travail. Les conseillers en évolution professionnelles mettent également en avant les soft skills demandées par les recruteurs et étudient avec les bénéficiaires l'adéquation de leur compétences avec les postes ciblés.

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